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Paru dans LE MONDE du 11.11.2013
Ces tranchées de la fraternité

Christian Carion (Cinéaste)

Dans le petit coin de l'Artois où je suis né, le souvenir du premier conflit mondial est partout. Après s'être retirée, la guerre a laissé au milieu des champs des cimetières au gazon impeccable. Les cultures ont appris à épouser les contours de ces espaces où reposent des gamins de 20 ans venus d'Australie, de Nouvelle-Zélande, du Canada , de Grande-Bretagne et d'ailleurs.Chaque automne, mon père et moi ramassions des obus ramenés à la surface par les labours. Nous les portions dans nos bras pour les déposer à l'entrée de nos champs. Ensuite, une 4 L de la préfecture venait les charger comme des pommes de terre pour les emporter mystérieusement. Des chercheurs ont estimé que pendant sept siècles encore, la terre racontera, à sa manière, la guerre de 1914-1918.Les 11 novembre, j'allais chanter La Marseillaise avec mes camarades de classe sous le regard glaçant d'un poilu en pierre, juché sur une colonne dont nous devions lire, à haute voix, chaque nom et chaque prénom. Nous habitions dans des maisons dont aucune ne datait d'avant les années 1920.

DOMMAGE DE GUERRE : L'ETAT INDEMNISAIT
Parfois l'une d'elles s'affaissait car construite sur une ancienne sape souterraine creusée par les soldats. Ces sinistres étaient considérés comme un dommage de guerre et l'Etat indemnisait la famille … 1914-1918 n'était pas seulement une date inscrite sur les pages de mon cahier d'écolier. C'était le décor de mon enfance. Plus tard, j'ai lu des témoignages de soldats, des livres d'histoire sur cette guerre qui a changé le monde.En 1992, j'ai découvert les fraternisations de Noël 1914, dans le livre d'Yves Buffetaut, Batailles de Flandres et d'Artois (Tallandier, 1992). J'apprends que des soldats français ont applaudi un ténor bavarois le soir de Noël, que d'autres ont joué au football avec les Allemands le lendemain, qu'il y a eu des enterrements en commun dans le no man's land, des messes en latin.Je n'ai pas voulu le croire, pas pu. J'ai rencontré l'auteur et lui ai demandé des preuves. Il m'a emmené à Londres, au Musée de la guerre, et m'a présenté les lettres écrites par les soldats britanniques, leurs croquis et photos… J'en ai eu les larmes aux yeux. Quel choc ! Sans doute les tommys pouvaient-ils se permettre une telle récréation, car ils ne se battaient pas sur leurs terres pour reconquérir des provinces perdues.Le doute achève de s'évanouir après ma visite au château de Vincennes, aux archives des arm ées françaises. Yves Buffetaut m'a permis d'accéder aux témoignages des soldats français qui ont pris part à ces fraternisations. Non sans difficultés à l'époque, il faut le dire. Clairement, sans la connaissance qu'avait l'historien des us et coutumes de ces lieux placés sous l'autorité de militaires, je n'aurais jamais pu lire les rapports et les comptes rendus.J'ai complété ma documentation en me rendant à Nanterre, où se trouvent les archives de l'armée allemande de la première guerre mondiale, dans les murs de la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine (BDIC). Les documents consultés exprimaient le même désir de se rencontrer , de chanter le soir de Noël, d'échanger des adresses pour se revoir après la guerre…

LES ÉTATS-MAJORS PRIS DE COURT
Rentré chez moi, j'ai compris plusieurs choses. Les fraternisations de Noël 1914 impliquèrent un nombre considérable de soldats, en plusieurs endroits du front, toutes nationalités confondues. Les états-majors ont été pris de court par ces « débordements ».Ils se sont employés à remettre de l'ordre en déplaçant les unités « contaminées », selon l'expression d'un officier supérieur de l'époque. Des Ecossais, engagés volontaires, furent renvoyés chez eux après deux semaines passées à prendre le thé avec les Allemands, à jouer au foot ou à organiser des visites de tranchées de part et d'autre pour comparer et améliorer les conditions de « travail ».Personne ne fut passé par les armes pour fraternisation, car trop de gens étaient mêlés à l'affaire. Le « fusillé pour l'exemple » n'avait pas encore été inventé. Il fallut tout de même casser les fraternisations et, côté français, leur mémoire surtout. N'avait-on pas éduqué tout un peuple pour qu'il puisse, le moment venu, offrir sa jeunesse au champ d'honneur ?Et, l'espace d'un soir, tout ce travail a été réduit à néant à cause d'un chant venu d'en face, du son d'un harmonica ou d'une cornemuse, d'une bougie qu'on a allumée là-bas pour guider ceux qui s'avançaient, sans armes, sur le no man's land. Partis le 3 août, ces hommes avaient tout oublié à la Noël ? C'était à n'y rien comprendre.En Grande-Bretagne et en Allemagne, les journaux ont relaté les phénomènes des fraternisations. Sur les rives de la Tamise, des photos furent publiées par la presse. En France, pas une ligne sur le sujet. Les journaux avaient été transformés en outils de propagande au service de l'armée et du pouvoir. Les fraternisations ne pouvaient trouver un quelconque écho.Mais pourquoi personne n'avait-il parlé de ces fraternisations, une fois le conflit terminé ? Aucun ouvrage sur le sujet, aucune recherche… Je ressentais ce silence comme une deuxième punition à l'égard des hommes de Noël 1914. Ce sentiment d'injustice a fait naître en moi le désir profond de réaliser le film Joyeux Noël.

LES REBELLES
J'ai alors retrouvé les mêmes postures qu'à l'époque, toutes proportions gardées. Une minorité au sein de l'armée française m'a empêché d'avoir accès à un terrain militaire pour reconstituer le champ de bataille. La Grande Muette ne pouvait être « partenaire d'un film sur des rebelles », m'a-t-on expliqué.Rebelles… Le même mot se retrouve dans les comptes rendus de 1914. La mort dans l'âme, nous nous sommes exilés en Roumanie et le film s'est fait, malgré tout, avec l'énergie de tous, acteurs et techniciens. A la sortie du film, j'ai été pris à partie par quelques historiens qui se sont sentis visés lorsque je disais ne pas comprendre l'absence de recherches sur le sujet. On m'a reproché d'en faire trop à propos d'une anecdote. Il n'y aurait eu que deux soldats qui se seraient serré la main, mon film portait sur ces deux-là…Quelques mois après la sortie du film, on m'a demandé de réaliser un documentaire, afin d'authentifier les faits de fraternisation présentés dans le film. J'ai voulu retourner aux archives militaires pour filmer les preuves. A Vincennes, je fus accueilli par un jeune civil qui avait préparé tous les dossiers que j'avais consultés, avec quelques difficultés, treize ans auparavant. Il me demanda si je voulais voir d'autres choses.Et il me montra les archives du 2e bureau, les services secrets français. Je fus abasourdi en découvrant que l'état-major avait dépêché sur les lieux des fraternisations des officiers des services secrets, pour savoir et comprendre.Leurs comptes rendus étaient précis, concis, édifiants, magnifiques… Je me souviens d'un mot rédigé par des soldats allemands, arrivé dans la tranchée française et rapporté par l'officier du 2 bureau.Ce message, écrit dans un français approximatif, avertissait les soldats français qu'un colonel allait passer dans leur tranchée et qu'ils allaient devoir tirer vers 14 heures. Mieux valait baisser la tête à cette heure-là. Mais cela ne remettait nullement en cause le pot prévu vers 17 heures. Et c'était signé : « Vos affectionnés camarades allemands ».

UN TÉMOIGNAGE EXCEPTIONNEL
Les commémorations du centenaire de la première guerre mondiale viennent de commencer. Il faut se souvenir de Lorette, Vimy, Verdun, Passchendaele et de tant d'autres endroits où le sang a coulé. Ces noms font partie de l'ADN historique des trente-cinq nations emportées dans le tourbillon du premier conflit mondial.Allons-nous oublier, une fois de plus, ces hommes qui ont sympathisé à Noël 1914 ? L'un d'eux nous a laissé un témoignage exceptionnel sur l'esprit des fraternisations. Il s'appelle Louis Barthas, tonnelier dans l'Aude avant la guerre, caporal pendant les quatre années du conflit dont il est sorti vivant.Barthas a écrit : « La même communauté de souffrance rapproche les coeurs, fait fondre les haines, naître la sympathie entre gens indifférents et même adversaires. Ceux qui nient cela n'entendent rien à la psychologie humaine. Français et Allemands se regardèrent, virent qu'ils étaient des hommes tous pareils. » Et puis il adressait, du fond de sa tranchée près d'Arras, une demande. « Peut-être un jour sur ce coin de l'Artois on élèvera un monument pour commémorer cet élan de fraternité entre des hommes qui avaient l'horreur de la guerre et qu'on obligeait à s'entre-tuer malgré leur volonté. »Nous devons donner raison à Louis Barthas, porte-parole de tous ceux dont on a nié les actes, les témoignages, la mémoire, et édifier un monument pour ceux qui eurent le courage du geste fraternel. A nous maintenant d'avoir le courage de concevoir, financer et construire, à l'endroit où Louis Barthas a écrit ces lignes, le seul monument sur la planète commémorant un acte de paix pendant un conflit.Je fais le souhait que le soir de Noël 2014, une première pierre puisse être posée à l'endroit même où un homme a imaginé ce qui était impensable, les pieds dans la boue de l'Artois.

Christian Carion (Cinéaste)

Soutiennent cette démarche:
Mickaël Barker, coprésident de Sony Pictures Classics ; Lucas Belvaux, comédien ; Philip Boëffard, producteur, membre fondateur de l'association Noël 14 ; Dany Boon, comédien ; Daniel Brühl, comédien ; Guillaume Canet, comédien ; Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental, président d'honneur de Noël 14 ; Thierry Frémaux, directeur de l'Institut Lumière de Lyon et délégué général du Festival de Cannes ; Diane Kruger, comédienne ; Gary Lewis, comédien ; Pierre Mathiot, directeur de Sciences Po Lille ; Claude Michelet, écrivain ; Christophe Rossignon, producteur, membre d'honneur de Noël 14 ; Bertrand Tavernier, réalisateur, président de l'association Noël 14.




Contact & informations
Nord Ouest / Association Noël 14
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